Hicaro (Jean-Pierre Bohic)

Jean-Pierre Bohic, alias Hicaro, est une autre « mémoire vivante » de la magie Bordelaise et Toulousaine. Il a accepté de nous dévoiler un passage de l’autobiographie qu’il vient de publier.

 

Fran-Tou-Pas et Hicaro
Fran-Tou-Pas et Hicaro

"Fran-Tou-Pas, mon premier Maître !

Ainsi, j’apprenais qu’il existait à Toulouse (6 rue Dalayrac, proche du boulevard de Strasbourg) l’Amicale Robert-Houdin et Club Commandeur Cazeneuve présidés par Fran-Tou-Pas, Maître Magicien costumier des théâtres ; très rapidement, je me rendais chez cet artiste, qui me prendra sous son aile ; je lui devrais largement. Que de costumes et de perruques ai-je vu défiler dans cet antre changé en salon d’essayage pour carnaval ! Il y en avait partout, pour tous les goûts : des crinolines (robes à cerceaux) par ci par là, stockées sur un canapé. Des uniformes, des redingotes, des soutanes, etc. pendaient aux portiques lourdement chargés de divers déguisements ; près d’eux, les coiffures adaptées aux tenues s’imposaient : capelines, tricornes, turbans, etc. Les clients (plus ou moins intéressés) affluaient et mon maître les recevait patiemment malgré son zona qui le faisait souffrir atrocement. « Vous n’auriez pas un habit de vampire ? Non !

 

Voyez chez Monsieur Capdeville, place Arzac, quartier Saint-Cyprien ! » répondait mon futur professeur. Le stockage des costumes continuait dans de grosses malles en osier encombrant une grande partie du couloir aboutissant à une cour où se trouvait le local de Madame Caron, autrement dit son bureau. Cette dame travaillait à son compte, spécialiste en polycopie de circulaires, documents commerciaux, etc. tirés sur son gros Gestetner duplicateur à encre. Elle dactylographiait ses stencils puis imprimait les feuilles de papier blanc avec ces matrices en question. Portant une blouse bleue claire, anti tâches d’encre, on aurait dit une ancienne employée de bureau.

Kiwi, son petit compagnon, un loulou de Poméranie, blanc comme neige, n’arrêtait pas de japper toute la journée ; il agaçait tout le monde. Alors, une fois, sérieusement, je proposais à sa maîtresse d’amener sa bestiole chez un taxidermiste ; ravie, elle supposait que c’était un vétérinaire spécialisé ! Je précisais à mon interlocutrice que Kiwi lui serait rendu muet comme une carpe. « C’est extraordinaire ! » Affirmait-elle joyeusement… Vous pensez bien que j’occultais le rôle du naturiste (Oh ! pardon ! Je voulais dire naturaliste…) au risque de finir empaillé à mon tour !

 

Les réunions de l’Amicale avaient lieu chez Fran-Tou-Pas, une fois par mois ; pas question d’ignorer leur date ou d’arriver en retard au risque de se faire incendier, surtout que nous étions avertis au moins une semaine avant par les convocations tapées par Madame Caron.

 

Que de bons moments passés chez Monsieur Pascal ; avec lui, j’apprenais mes premiers tours dont certains répétés le matin (face à son triple grand miroir articulé) seraient exécutés le soir même ; il exigeait la perfection ! Il s’impatientait en tapant du pied : «  Non ! On recommence… ».

Les premiers temps que j’allais voir mon maître, je remarquais juste en face de chez lui un établissement singulier : le Bijou Hôtel ; derrière ses fenêtres, des mains s’agitaient me faisant signe. Ces appels ne me perturbaient pas outre mesure et plus tard, je comprenais qu’il s’agissait de dames corrompues exerçant le plus vieux métier du monde ! Je préférais beaucoup plus mes petites copines comptables ou secrétaires ! Je suis certain que vous approuverez mon choix… Voyant que je rentrais toujours chez mon ami costumier, ces belles de nuit finirent par capituler.

 

De mémoire, je ne connaissais aucun défaut à mon Maître… Par contre, il fumait et devinez qui allait lui chercher ses chères Gauloises (dans tout le sens du terme) ? Précisément au Tabac Jaune (toujours d’actualité), situé au numéro 23 du boulevard de Strasbourg, près de la rue Dalayrac. C’était votre serviteur que Fran-Tou-Pas taquinait gentiment « Tu devrais fumer, ça te fera tousser ! ».

 

Souvent après l’école, Fran-Tou-Pas me recevait dans son salon oriental où une imposante bibliothèque me révélait ses secrets. Je n’avais jamais vu autant d’ouvrages et de revues consacrés à la Prestidigitation. Encore au détriment de mes études comptables, j’étais aussi scribe, je m’explique : régulièrement, mon maître me confiait des livres et revues magiques expliquant plein de tours, ceux avec des liquides m’attiraient particulièrement ; je les recopiais et reproduisais même leurs dessins respectifs sur les pages d’un gros classeur « Hydromagie ». J’avais recueilli environ quatre-vingts explications. Je m’arrangeais pour satisfaire aussi mes professeurs de l’école. On ne peut pas être partout à la fois… Parlons de choses plus agréables si vous permettez…

 

Si j’avais des sous !

Fran-Tou-Pas me prêtait également des catalogues de marchands de tours. Tant de choses me plaisaient… Comment les acheter ? Après mûre réflexion,  je décidais de travailler l’été prochain (en Juillet 1964) pour gagner des sous ! Mais où ? Un coup de chance inouï : je me présentais chez MIDICA le magasin de bricolage bien connu de la place Esquirol et c’est le directeur qui me reçoit personnellement : « Vous venez pour le poste de dactylo facturier ? ». Timidement, je répondais oui à ce personnage très distingué aux cheveux grisonnants. « On dit oui Monsieur ! ». J’obéissais en répétant ces mêmes mots à Marcel Caën Garrigou, Président de la Courtoisie Française… J’étais alors embauché pour un mois et ravi de percevoir mon premier salaire : 463,92 Francs.

Après, je retournais voir François-Toussaint-Pascal pour être conseillé sur mes futurs achats. Je commençais par m’offrir un beau goocheltafel (guéridon) de chez Triks 484 Amsterdam Keizersgracht… N’oubliez surtout pas l’adresse et il me restait encore de l’argent !"


Extrait du livre "Le monde merveilleux du magicien Hicaro, autobiographie d’un enchanteur passionné."

Disponible auprès de  Jean-Pierre Bohic : 22 € + port.

Par mail :  jean-pierre.bohic4@orange.fr ou au tél. : 06 85 46 40 32.